Internet des objets et M2M

October 1, 2011

Les objets du quotidien rejoignent progressivement le vaste réseau internet, comme l’ont fait les êtres humains à la fin des années 90. Voitures, maisons, appareils électroménagers, panneaux publicitaires, systèmes de surveillance et machines s’interconnectent de plus en plus fréquemment à internet pour apporter de nouveaux services.

Cette généralisation de la connectivité appelée « internet des objets » est annoncée depuis plusieurs années et les possibilités offertes sont perçues comme l’une des évolutions les plus prometteuses d’internet. La finalité est de développer de nouveaux services, tant pour le grand public que dans le monde professionnel : sécurité, économies d’énergie et de temps, gains de productivité, etc. Mais qu’en est-il vraiment ? Quelles sont les applications et les solutions réellement opérationnelles aujourd’hui ? Comment se développe ce marché ?

J’ai travaillé ces trois dernières années en tant que directeur de programmes chez Sierra Wireless, un acteur majeur des solutions M2M (la communication Machine-to-Machine) et de l’internet des objets. Cette expérience m’a amené à mettre en œuvre et déployer de nombreux projets M2M et je présente ici une synthèse de mon retour d’expérience au travers de deux articles:

Première partie: La technique et les projets

  1. Internet des objets, M2M et applications
  2. Les architectures et les solutions
  3. Projet M2M : Facteurs clés de succès et écueils
Deuxième partie: les aspects business (article à paraître)
  1. Le marché et les modèles économiques
  2. Les évolutions en cours et le futur

1. Internet des objets, M2M et applications

L’internet des objets correspond à une vision ambitieuse et universelle d’interconnexion des objets du monde physique au sein du réseau internet. Ce nouveau domaine est supposé suivre les mêmes principes de développement que celui d’internet pour les humains : de plus en plus de connectés, des échanges ouverts et transverses de données et l’émergence de nouveaux services. Cette vision intégrée reste aujourd’hui très théorique et éloignée de la réalité des solutions et des projets existants.

La plupart des projets mis en œuvre actuellement consistent à répondre de manière pragmatique à des besoins très spécifiques et précis: compteurs électriques intelligents, santé à distance, gestion automatisée de bâtiments, vidéo surveillance, gestion à distance de panneaux solaires, géo-localisation de véhicules, transmission de données de fonctionnement de machines industrielles, remontée d’informations environnementales (pollution, météo, etc.). On parle dans ce cas d’applications verticales et les solutions mises en œuvre sont pragmatiques et ciblées sur le besoin.

Ces solutions interconnectent des objets physiques au réseau internet, mais de façon autonome et isolée les unes des autres. Cette approche verticale est privilégiée principalement parce que les besoins et les usages n’existent pas encore pour des solutions horizontales. Les solutions et les standards techniques ne sont d’ailleurs pas non plus matures. Les projets et le marché se concentrent donc aujourd’hui et depuis plusieurs années sur des applications de communication « Machine to Machine » (M2M), à distinguer de l’internet des objets.

Mon expérience dans le secteur M2M m’a amené à participer à la réalisation et au déploiement de solutions très diversifiées dont voici quelques exemples:

2. Les architectures et les solutions

Architecture fonctionnelle

Une solution M2M est une chaine intégrant différents systèmes techniques entre eux, depuis les équipements de terrain, jusqu’aux applications centrales destinées aux utilisateurs métier.

Sur le plan fonctionnel, les solutions M2M sont basées sur des architectures relativement génériques et reproductibles. Un travail de standardisation des architectures M2M est d’ailleurs en cours de définition par l’ETSI (European Telecommunication Standards Institute). Un des objectifs de l’ETSI est de permettre le développement de l’internet des objets via les principes d’interopérabilité et d’intégration horizontale évoqués plus haut. Le diagramme ci-dessous présente une vue synthétique de l’architecture M2M définie par l’ETSI.

Architecture Fonctionnelle M2M (ETSI)

Cette architecture fonctionnelle correspond à la plupart des solutions M2M concrètes que j’ai rencontrées. Nous retrouvons la même chaine d’intégration avec des composants logiques, des principes de communication et des services techniques comparables.

Les principaux composants de l’architecture sont brièvement présentés dans les paragraphes qui suivent.

Devices

Le but d’une solution M2M est de connecter des équipements de terrain au réseau afin de transmettre des données et/ou de recevoir des commandes. Ces équipements peuvent être des capteurs effectuant des mesures (énergie, température, humidité, présence), des actionneurs (ouverture de porte, démarrage d’appareil électrique) ou encore des systèmes plus évolués tels que des automates programmables pilotant des machines.

Gateway

L’interconnexion des équipements au réseau internet est mise en œuvre par des interfaces entre les équipements et une passerelle de communication (ou modem). Lorsque plusieurs équipements utilisent le même modem, il peut être nécessaire de mettre en place un concentrateur établissant une interface avec chaque équipement et le modem. Certaines passerelles évoluées intègrent des interfaces multiples et des fonctions de concentrateur, par exemple via la gestion d’un réseau local (Ethernet, wifi, Zigbee, X10, etc.).

Réseau de communication

Dans les solutions M2M, les échanges de données entre le modem et le système central passent généralement par le réseau cellulaire (GPRS, Edge, 3G) d’un opérateur mobile. Certaines solutions peuvent utiliser un canal de communication filaire. Par exemple en domotique, la liaison primaire à internet utilise le boitier ADSL de la maison. Le réseau cellulaire peut alors constituer une liaison de secours en cas de rupture de la liaison primaire.

Infrastructure de services

L’infrastructure de services fournit des fonctionnalités utiles pour le développement d’applications métier au travers d’interface de programmation (API). Cela comprend en particulier les services génériques d’accès au réseau et l’implémentation de protocoles d’échange de données. L’infrastructure de service est généralement partagée par plusieurs applications métier.

Ce composant d’architecture peut être mis à disposition par un fournisseur (éditeur ou prestataire de services hébergés) ou bien il peut être implémenté de manière spécifique pour répondre directement aux besoins de l’application métier.

Application métier

L’application métier met en oeuvre les fonctionnalités utiles aux utilisateurs finaux. Il peut s’agir d’utilisateurs professionnels (superviseur de systèmes distants) ou grand public (domotique, e-santé, etc.).

Ci-dessous une synthése des composants mis en oeuvre dans les solutions M2M (vue de type “product breakdown structure”). Cliquer sur le diagramme pour l’agrandir.

M2M Solution - Product Breackdown Structure

M2M Solution - Product Breakdown Structure

3. Projets M2M: facteurs clés de succès et écueils

Les projets M2M sont particulièrement complexes sur le plan technique, en raison notamment de la chaîne d’intégration qui implique une grande variété de technologies: modules électroniques, systèmes et logiciels embarqués, réseaux sans fil, opérateurs télécom, protocoles de communication hétérogènes (souvent propriétaires), système central de collecte des données et de gestion à distance, etc.

Pour réussir un projet M2M de bout en bout, il est donc essentiel de s’appuyer à la fois sur des équipes de spécialistes expérimentés dans chaque domaine ainsi que sur des experts de l’intégration globale et de la gestion du système. Il est en particulier indispensable de porter une grande attention aux études amont:

  • Cadrage précis des besoins et des contraintes (métier, techniques et économiques).
  • Architecture: Etude de différentes solutions techniques et fonctionnelles, sélection des composants et des fournisseurs (matériel, opérateur réseau, logiciels, plate-forme de services, intégrateur).
  • Prototypage: Dans la plupart des cas, la première étape consiste à mettre en oeuvre un prototype afin de démontrer la faisabilité et de d’identifier le plus tôt possible les points clés (fiabilité du matériel et des échanges réseau, coûts de communication, performances, etc.)

D’une façon générale, sur chaque projet, les aspects qui s’avèrent les plus importants concernent d’abord fiabilité du système de bout en bout – De nombreuses solutions M2M fonctionnent mal et ne remplissent pas correctement le service attendu faute de fiabilité. Au-delà, la sécurité, les performances et la gestion du système global constituent des points clés. Voici quelques idées permettant de mieux maîtriser ces questions:

  • Simplifier les architectures au maximum (coté embarqué et coté serveur) – L’empilement des couches et la “sur-sophistication technique” (over-engineering) engendrent des effets exactement contraires aux attentes
  • S’appuyer sur des standards techniques et des solutions ouvertes, si possible open source
  • Privilégier les mises en oeuvre par approches itératives et par l’expérimentation
  • Anticiper les problèmes RF avec un spécialiste (en particulier les problèmes d’interactions électromagnétiques au sein de systèmes matériels intégrés)
  • Anticiper et gérer la mise en réseau de la solution et les modèles de sécurité associés (réseau opérateurs, réseau de l’entreprise, VPN, NAT, etc.)

Les écueils et fausses bonnes idées:

  • Vouloir tout gérer au sein d’une plate-forme intégrée et supposée universelle : syndrome de l’usine à gaz coûteuse et impossible à maintenir – Si une plate-forme de services est utilisée, elle doit se limiter aux fonctions essentielles : broker de message, sécurité, interface de programmation (API) et optionnellement le stockage des données. Les autres fonctions peuvent être déléguées, y compris le “device management” (la supervision et la mise à jour du gateway de communication).
  • Attendre d’un système M2M des services et des performances équivalents aux application client-serveur classiques (i.e.: échange synchrone et temps-réel) – Cette attente est illusoire dans le cadre de communication “over the air” (OTA), notamment en raison des performances, de la fiabilité et du coûts des communications sans fil
  • Se baser entièrement sur l’architecture propriétaire d’un seul fournisseur intégrant une approche “tout en un”. Le phénomène de “boites noires” engendre des problèmes de dépendance technique et commerciale, les solutions s’avèrent par ailleurs souvent confidentielles et l’évolutivité, le service et le support sont limités aux seules capacités du fournisseur. Les coûts à long terme d’une telle approche sont défavorables

Le prochain article traitera des questions commerciales, des modèles économiques du M2M ainsi que des évolutions en cours et futures.